Photographie

Ambiance électrique

16 juin 2013

 

Pour la plupart d’entre nous, le plaisir du bord de mer et de la plage est synonyme de soleil, ciel bleu dépourvu de nuages... Cela fait toujours rêver ! Mais cette image de carte postale n’est pas l’idéal pour tous. En effet, certains préfèrent lorsque le temps se gâte. C’est le cas d’Eric Tarrit qui avait un rendez-vous important à la Dune du Pilat début juin. Pour ce chasseur d’images, la féérie de la plage n’est pas le ciel bleu, mais lorsqu’il se couvre... car il est aussi chasseur d’orages.

 

Ce jour-là, il se trouve en haut de la dune, aux aguets, avec tout son équipement : réflexe, trépied, cellule de déclenchement pour photographier la foudre… Il scrute minutieusement le ciel et observe « l’évolution de la situation ». Impossible de dire à ce moment-là, si le déplacement valait vraiment la peine. Mais ça fait partie du jeu. Eric est venu exprès de Clermont-Ferrand, pour cette chasse, il aura fait plus de 1 000 km au total ! Pour voir ce que les cieux lui proposeront au-dessus de la Dune du Pilat. Une heure après, les choses deviennent plus intéressantes, puisque « des congestus commencent à bouillonner sous le soleil qui tape ». Ce que les vacanciers craignent, ravit Eric : la pluie arrive, puis le premier coup de foudre vient de tomber. Eric est aux anges. Il parle dans un langage cryptique, peu compréhensible aux non-initiés : « la cellule avance », « la structure devient très sympathique », « une cellule downburst », « formation d’un arcus », « à l’ouest une bonne ambiance avec les rideaux de pluie et quelques impacts ». Traduction : l’orage approche. Finalement, Eric rentrera content de son séjour à la dune, les cartes SD pleines d'images insolites et les batteries de son réflexe désespérément vides.

 


Interview

Pourquoi avez-vous décidé de venir à la Dune du Pilat pour attendre l’orage ? Faire des centaines de kilomètres, pour photographier des nuages et des éclairs, c’est assez extraordinaire, non ?

Avec Pierre Bonnel, mon ami d'enfance et passionné lui aussi (avec qui je fais pratiquement toutes les chasses), je suis venu à la Dune du Pilat, car je regarde les modèles météorologiques avant de partir. Ce sont plusieurs cartes de données différentes qui permettent de faire ses propres prévisions et de voir donc où il peut y avoir une zone à risque d’orages. Après analyse des modèles, le potentiel orageux etait bien marqué dans cette zone. Je ne suis qu'amateur dans ce domaine, donc j’apprends sur le tas depuis quelques années maintenant, et je me débrouille avec ce que je sais. En météo, on en apprend tous les jours ! Oui, ça parait assez drôle au premier abord de faire des centaines de kilomètres pour aller faire des photos des orages sous la pluie, contrairement à pas mal de personnes qui font plutôt le contraire en se réfugiant au sec. Mais quand on s’intéresse au sujet de plus près, on s’aperçoit que c'est très intéressant, que tous les orages sont différents et ceci ne fait qu'intensifier la passion qu'on a déjà.

 

Est-ce que cet orage a tenu ses promesses ou regrettez-vous  de vous être déplacés en Gironde ? Parfois, vous devez être déçus d’orages qui finalement ne sont pas très spectaculaires, non ?

Cet orage a tenu ses promesses, oui. De belles structures, par exemple l'arcus multicouche photographié [formation de nuages qui se présente plus basse à l'avant d'un orage pour rechercher de l'humidité, souvent en forme arquée, avec plusieurs couches superposées] qu’on a pu observer pendant une demi-heure s'approchant sur notre trajectoire. Une ambiance de dingue, puis la foudre était au rendez-vous aussi avec pas mal de clichés réussis. J'aurais pu avoir mieux encore, mais je n'avais plus de batteries ! Mes yeux et mes oreilles s'en souviennent ! Le risque de « flop » est bien sûr toujours présent. La météo est parfois capricieuse, mais ça permet de mieux apprécier les chasses fructueuses.

 

Qu’est-ce qui vous fascine le plus dans les orages ?

Ce qui me fascine dans les orages, c’est la puissance que cela peut dégager (on se sent petit face à ça) et aussi leurs structures qui peuvent être superbes ! C'est en quelque sorte le jeu du chat et de la souris. On le chasse pour avoir les plus beaux clichés et être dans une ambiance très particulière, mais parfois c’est lui qui nous chasse quand il faut se mettre à l'abri le plus rapidement possible. Par exemple, le 6 juin à la Dune du Pilat, on s’est fait surprendre par trois orages qui sont nés et nous on encerclés en à peine 20 minutes. On a dû redescendre de la dune un peu en urgence, car ça devenait dangereux de rester sur une crête qui est la plus haute sur des kilomètres à la ronde. Donc oui, une assez grosse part de risque dans cette passion, il faut vraiment être passionné pour prendre certains risques et le faire pour soi, pas pour les autres. Car c’est sa vie qu’on met en danger quand la situation est difficile et que les voitures ne sont pas à côté !

 

Combien de kilomètres faites-vous par an pour photographier les orages ?

Pour ce qui est des kilomètres parcourus, c’est variable selon le lieu de la zone orageuse, l'essence qu'on est prêt à dépenser, car c’est souvent le plus contraignant, et suivant les années aussi. Cette année, la saison orageuse a débuté tard avec un mois de mai très pluvieux !

 

A quel moment décidez-vous d’arrêter de photographier pour vous abriter ? Ne prenez-vous pas trop de risques ?

Je ne m’arrête pas de photographier. En fait, je cherche plutôt un moyen de continuer, mais en étant le plus en sécurité possible. Il ne faut pas rester sur des points hauts et dégagés pour ne pas faire office de "paratonnerre" ou rester près d’un arbre par exemple. Une très mauvaise idée, on est à l'abri de le pluie, mais pas de la foudre ! Tout ce qui est métallique, est évidemment déconseillé. Pour ce qui est des personnes en groupe, il faut s'écarter les uns des autres et laisser quelques mètres entre chaque personne. Pourquoi ? Pour éviter le risque de propagation de la foudre, si elle tombe sur une personne. La meilleure solution est de se coucher, jambes repliées avec aucun arbre, objet métallique ou vertical à proximité pouvant attirer la foudre.

 

Qu’est-ce qui a été pour vous le meilleur moment dans votre activité de chasseur d’orages ?

Mes meilleurs souvenirs ? La nuit du 23 août 2012 où plusieurs orages, dont certaines supercellulaires ont donné des orages très électriques pendant près de 8 heures sans interruption ! Pas de matériel photo à l'époque, donc pas de photo valable, mais mes yeux se sont régalés. Ensuite, l'interception d'une supercellule en Allier le 2 mai 2013. Elle a donné des grêlons jusqu’à 4 cm de diamètre sur une épaisseur de 15 cm par endroit. Et pour finir, le magnifique et monstrueux arcus multicouche qui s’étendait sur des centaines de km le 7 juin à la Dune du Pilat !

 

Qu’est-ce que vous espérez voir encore ? Une tornade ?

La tornade reste le must pour les chasseurs d'orages, mais difficile en France. Cela reste rare et quand il y en a, elles sont petites et ne durent pas vraiment longtemps.

 

Y a-t-il beaucoup de passionnés comme vous en France ?

En France, les chasseurs sont de plus en plus nombreux, par contre, on ne peut pas estimer le nombre. Mais rien que notre TEAM Chasseurs d'orages compte actuellement 359 membres.

 

Merci et bonne chasse !

 

 

Texte : © Detlef Bogs / Eric Tarrit | Photos : © Eric Tarrit

 

Contact : Eric Tarrit | Pierre Bonnel

https://www.facebook.com/groups/team.chasseursdorages/